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Définition de l’architecture durable en Afrique aujourd’hui

Bakonirina Rakotomamonjy, architecte, chercheuse associée CRAterre

D’ici 2050 l’Afrique devrait compter 2,5 milliards d’habitants contre 1,2 milliards aujourd’hui[1]. L’Afrique fait face à une crise du logement majeure.

Dans le contexte écologique actuel, la réflexion sur le changement d’échelle pour la production massive de logements est insuffisante. Il est nécessaire de changer de paradigme pour adopter une posture s’interrogeant sur la mise en place de processus durables dans la production d’un habitat digne pour tous. Pour être durable, ce processus devrait être conçu à partir d’une compréhension des moyens et des besoins de l’écosystème local.

Or, selon une étude de la banque mondiale en 2015 « Les matériaux et le secteur de construction informels dominent le secteur de la construction de logements. La majorité des logements sont construits par leurs propriétaires ou par des entrepreneurs informels, avec des matériaux traditionnels»[2]. Cette même étude affirme que le logement formel est inaccessible financièrement à la majorité des ménages en Afrique subsaharienne.

Considérant la place des matériaux traditionnels dans le secteur de la construction, nous pouvons nous demander, « si, aujourd’hui, une architecture désirable et durable peut-elle être bâtie à partir de matériaux traditionnels ? « 

Mais plus généralement, et indépendamment du fait qu’elle soit à destination de l’Afrique ou d’un autre continent, quelle architecture souhaitons-nous pour demain ? Idéalement, l’architecture devrait être qualitative et résiliente, apportant durablement des bénéfices socio-économiques au niveau local, respectueuse de l’environnement et des cultures locales et surtout pour le plus grand nombre.

Le patrimoine africain et les développements récents pour une architecture plus durable valorisant les matériaux géo et bio sourcés, nous démontrent que cet idéal n’est pas si lointain et pourrait être accessible.

Des architectures qualitatives– cas des architectures vernaculaires

Les architectures de terre représentent aujourd’hui 203 biens inscrits dans la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Ces patrimoines témoignent par leur pérennité, avec nombreux biens centenaires, de la durabilité de ces architectures. Ils démontrent les génies artistiques, architecturaux, techniques et urbanistiques africains. La communauté internationale à également reconnue, la capacité de ces architectures à s’inscrire en harmonie avec l’environnement, comme l’illustrent les paysages culturels tels que le paysage culturel des Bassari au Sénégal. Ces architectures sont de véritables liants sociaux, comme en atteste l’investissement communautaire dans le crépissage annuel de la mosquée de Djenné.

Concernant la capacité de ces architectures vernaculaires à soutenir la résilience, elles ont toutes leur place, lorsqu’on reconnait que celle-ci se bâtit en premier lieu en comptant sur ses propres forces et sur les ressources disponibles localement. De plus, les traditions constructives africaines regorgent de savoir-faire ancestraux en réponse aux risques naturels. Les générations précédentes ont appris à comprendre et à gérer ces aléas, soit par des techniques constructives, soit par des légendes, soit par des tabous ou règlements. Ces leçons méritent d’être documentées. Elles peuvent faire l’objet de pratiques de rétro-ingénierie qui, en les revisitant, permettent d’améliorer les capacités de résilience.

L’architecture contemporaine en terre, se présente désormais sous un angle résolument contemporain, et s’inscrit dans une démarche durable. L’école primaire de Gando au Burkina Faso, de Francis Keré, construite en 2004 atteste de la performance des architectures utilisant la terre crue. On y relève, entre autres, la qualité architecturale et l’intérêt de la conception bioclimatique à travers le confort intérieur ressenti. Impulsées par la dynamique portée par Kéré et les tendances internationales, de nombreuses architectures contemporaines en terre émergent en Afrique, comme en témoignent les résultats du concours international sur les architectures de terre portée par le Fact Sahel[3].

La capacité d’innovation des techniques et des architectures est souvent considérée comme un indicateur de performance. Les recherches récentes démontrent que les matériaux locaux s’innovent et répondent aux défis tels que ceux du changement climatique. La recherche portée par le ministère de l’Environnement au Sénégal et le PNUD a permis, avec l’expertise du CRAterre, de développer un matériau de construction aux fortes performances isolantes associant la terre crue et la plante invasive Typha (2014 -2016).

Des architectures respectueuses de l’environnement – cas des architectures en matériaux locaux

Heureusement la part des émissions du continent africain est encore faible. Toutefois, une démarche écologiquement raisonnée est essentielle à mettre en place pour éviter que l’Afrique tombe dans des dérives qui se sont révélées catastrophiques pour la planète. En Afrique, les émissions du secteur sont principalement liées à l’importation et à la production des matériaux à forte intensité de carbone (ciment, acier et briques cuites). Pour réduire ces dépenses, il est urgent de dynamiser une économie plus locale du bâtiment et de réserver le ciment, le sable et la brique cuite, à leur stricte nécessité.

L’Afrique regorge de ressources naturelles, lui permettant une large variété de techniques constructives et de réponses architecturales. Toutefois, il est essentiel de veiller à la régénération des ressources et à la mise en place de conditions d’approvisionnement durables et raisonnées à l’échelle d’un territoire. L’histoire, et en particulier les traditions coutumières, nous enseignent que les réponses architecturales ad-hoc, réalisées dans le respect de la nature et en fonction des ressources disponibles permettent d’assurer un impact minimal sur l’environnement. Elles nous enseignent également que la diversité culturelle et l’expression des diversités identitaires, résultant en une variété d’architectures, permettent de réduire la pression sur les écosystèmes. À ce titre, une approche territoriale, associant les acteurs gouvernementaux, est essentielle pour la bonne gestion, la régulation des quantités extraites et le renouvellement de la ressource. Le changement d’échelle pour répondre au besoin massif de logement ne devrait donc pas viser la standardisation, mais plutôt la diversification et la localisation.

Les bénéfices socio-économiques, un véritable défi pour l’Afrique ?

Selon la banque mondial, au Burundi 70 % des logements sont en adobe et au Malawi 66% des personnes vivent dans des habitations traditionnelles[4]. Par ailleurs, l’ONU‐Habitat indique, que le modèle de construction par les propriétaires eux‐mêmes est « peut‐être la seule approche du logement commune à tous les pays africains qui soit abordable au niveau des ménages ».[5] Aujourd’hui l’auto construction et l’usage des matériaux traditionnels sont décriés. Malgré cela, ils permettent de répondre à un besoin vital et d’initier une amélioration progressive des habitats.

Le secteur de la construction en matériaux traditionnels, encore trop informel, constitue un écosystème économique en vie, voire viable si mieux structuré et formé. Il est nécessaire d’accompagner la naissance d’entreprises de construction en matériaux traditionnels formellement qualifiées. En effet, lorsque la production des matériaux est structurée à l’échelle artisanale ou semi-industrielle, comme c’est le cas majoritairement, l’usage de matériaux locaux offre un potentiel important de création d’emplois, qualifiés et non qualifiés, non délocalisable sur toute la chaîne production – construction – entretien. L’usage des matériaux locaux a le potentiel d’ancrer durablement le capital et l’investissement sur le territoire, de réduire les vulnérabilités face aux chocs et de s’affranchir des variabilités économiques globales.

Malheureusement, les matériaux traditionnels aujourd’hui peuvent couter plus cher que les matériaux importés. Seulement, cette vision partielle occulte notre capacité à concevoir une économie à long terme. Les couts de construction en matériaux traditionnels sont élevés, entre autres, parce que la main-d’œuvre est rare, que l’investissement sur les machines est fait à détriment de l’investissement sur l’Humain et que ces techniques se confrontent à une multitude de freins administratifs, couteux en temps et en envies.

Ne serait-il pas pertinent, d’investir aujourd’hui, sur notre capital humain, fait de nombreux ouvriers ouvrières et artisans artisanes ? Ceci pourrait être envisagé à travers le développement d’enseignements techniques et professionnels et d’une reconnaissance des compétences professionnelles. Certes, cette montée en compétence constitue un véritable investissement. Mais, ces stratégies sont un levier de valorisation des savoir-faire, apportant une valeur ajoutée économique, mais aussi de la dignité dans le travail, notamment à l’artisan.e, acteur clé de la filière.

Aujourd’hui, le secteur de la construction Afrique tient à quelques grandes entreprises étrangères et de milliers de petites entreprises ou d’artisans individuels qui réalisent les travaux de moindre importance. Dans la perspective du changement d’échelle dans la production de l’habitat, ces dernières ne devraient-elles pas viser la structuration, le regroupement et se renforcer dans ce qu’elles savent faire : c’est à dire l’expertise localisée utilisant des ressources locales ?

Conclusion : Pour toutes et tous

La pandémie de la Covid-19 a rappelé la finitude de la dépendance et l’intérêt de réduire l’emploi de matériaux importés et développer des filières de production courtes. La terre crue peut, dans le tissu économique actuel, et au même titre que d’autres matériaux locaux, apporter une réponse adéquate au besoin en logement.

La construction localisée est à portée de main et a fait ses preuves. Les architectures de terre sont pluricentenaires dans la majorité des pays d’Afrique, alors que le recours au béton est à peine bicentenaire. De plus, l’Afrique regorge de multiples matériaux régénérables et accessibles, lorsque bien gérés.

Ces architectures en matériaux traditionnels sont décriées, mais elles sont accessibles à toutes et à tous, sont la réalité de nombreux habitants, elles représentent une économie locale non négligeable et elles peuvent etre de grande qualité. Revigorée par des compétences renforcées, d’art et de savoir-faire, comme avant l’air industriel, ces architectures issues de l’intelligence locale peuvent valablement répondre à la demande d’une architecture durable.


[1] Afrique : la population devrait doubler d’ici 2050, quadrupler d’ici 2100 (francetvinfo.fr)

[2] Bilan du secteur du logement en Afrique subsaharienne Défis et opportunités, Banque mondiale 2015

[3] Terra Award Sahel+ 2019 | FACT sahel+ (factsahelplus.com)

[4] Bilan du secteur du logement en Afrique subsaharienne Défis et opportunités, Banque mondiale 2015

[5] ONU‐Habitat, « Affordable Land and Housing in Africa », (Kenya : ONU‐Habitat, 2011)