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Principes d’une “ Cosmoarchitecture “

Sénamé Koffi Agbodjinou

Il est coutume, dans les sociétés africaines, de dire que la maison appartient aussi à ceux que l’on n’a pas encore rencontrés. On parle ainsi de ceux à venir… C’est là, n’est-ce pas, en vrai, la meilleure définition à donner au concept de durabilité.

Un sens ancien du durable

Fixons cette approche du durable qui y verrait une sorte de contrat intergénérationnel instituant que les actes que nous posons aujourd’hui ne doivent pas compromettre l’existence de ceux qui vivront après nous. Là-dessus tentons dans l’architecture traditionnelle d’isoler et de faire la somme de ferments connexes pour une nouvelle éthique de la soutenabilité dont le potentiel serait peut-être de régénérer depuis l’Afrique le débat contemporain autour des enjeux du vivre ensemble et d’habitabilité de notre planète

L’idée d’un droit de jouissance exclusif sur les choses, la notion même de bien et tout sens exacerbé de la propriété sont, on le sait, remarquablement estompés dans l’appareillage cognitif africain. Dans les univers de traditions, on considère ainsi que les choses sont vaguement à tous… La maison singulièrement; dont l’ouvrage aura souvent mobilisé tout le village à grand renfort de bière de mil.

Si le séjour dans un enclos d’initiation est pour créer sur la promotion entière de classe d’âge le sentiment d’appartenance au même corps;  le chantier de construction d’une nouvelle maison a charge – au même titre que les nombreux rites qui ponctuent le séjour terrestre – de réactiver et de renforcer ce lien. La dimension communale de l’architecture est ainsi son premier gage de durabilité.

Car si donc la maison africaine est généralement placée sous la responsabilité de la femme pour laquelle le mari aura initié son érection, les portes en doivent permanemment demeurer ouvertes au tout venant. Elle se retrouve ainsi, la maison, le nœud principal d’un système complexe : entrelacs d’obligations collectives et de responsabilités des uns envers les autres qui performe incidemment sa relative permanence.

L’habitat cristallise dès lors extraordinairement le tout premier système performatif que l’humanité n’ait jamais développé : l’homme augmenté… par l’homme.

Refonder l’architecture responsable

L’homme est pour autant qu’il habite

M. Heidegger.

Suivant le point de vue de Heidegger, la maison traditionnelle africaine apparaîtrait non pas la « machine à habiter » de Le Corbusier mais plutôt une machine à apprendre à habiter ! Elle conceptualise plus qu’elle ne modélise : “l’habitation responsable”

Il se peut établir une correspondance des principes présentés ci – dessus avec des enjeux contemporains : gestation = Durabilité / anthropomorphisme = Responsabilité / différentialité = Égalité / giration = Équilibre / fractale = Démocratie / panoptique = Solidarité / totalité = Inclusion / Unité = Cohésion.

Suivant l’idéal intriqué, durabilité pourrait participer comme dans l’esprit africain, ensemble avec : “responsabilité”, “égalité”, “équilibre”, “démocratie”, “solidarité”, “inclusion”, “cohésion”, d’un seul mouvement dont l’habiter pourrait être la modalité.

Nous avons proposé dés 2005 un système outil à cet effet : la Grille en 8; permettant d’envisager l’horizon d’une “cosmo-architecture” moderne.

Une Cosmoarchitecture est une architecture à prétention “Monde”, c’est à dire ensemble l’éthique et la politique de prendre en charge par le même geste de bâtir et l’habiter qu’il prescrit : la communalité du vivant, les différentes échelles, l’unité du spectre et l’équilibre. La cosmoarchitecture se veut ainsi un nouveau contrat de la parenté procédant d’un anthropocentrisme non clivé de la totalité. Aussi tisse-t-elle avec son environnement. Tout le vivant y a abri. De part en part, la traverse l’idée d’une solidarité par-delà les générations et que les actes posés aujourd’hui doivent laisser de la marge de manœuvre à l’avenir… Elle n’introduit pas de rupture dans l’habitation du monde… même pas celle, dans la modernité, de l’exister (au sens d’un séjour terrestre) d’avec le sein maternel et la tombe. En un sens elle invite à une considération plus générale, fondamentale de l’habiter : une manière d’être au monde qui excède largement le domaine du logement en fixant pourtant que les conditions de l’installation et la logique fonctionnelle la préfigurent. Aussi le bâtir est-il d’emblée pris dans un faisceau complexe de relations et de responsabilités qui pour alternativement se débrouiller ou se nouer par endroits mobilise souvent du rituel. Préfigurée par la société de tradition, la cosmoarchitecture est une modalité du “Système du monde” qui s’oppose à l’approche civilisationnelle “moderne” des installations humaines.

Elle engagerait ainsi idéalement, la cosmoarchitecture, par ses moyens, le “ vivre ensemble” dans son acuité la plus contemporaine. Elle aurait forcément une relation de son éthique au matériau.