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Vers une architecture de la pertinence

Felix Holland, cofondateur de Localworks

Le terme « durabilité » est utilisé de manière inflationniste, et pas uniquement dans le monde de l’architecture. Que l’on parle d’un projet citoyen de construction d’habitations à faible coût à partir de matériaux locaux ou bien d’une grande société qui pratique le greenwashing, tous deux feront joyeusement référence à ce terme généralement non protégé et extensible à l’infini que la crise mondiale du climat a propulsé au sommet de la liste des préoccupations de l’humanité. En travaillant comme architecte en Ouganda et en essayant de trouver des façons de concevoir et de construire écologiques et significatives sur le plan régional, j’ai développé une méfiance accrue vis-à-vis du terme « durabilité » et suis tombé, en lieu et place, amoureux du concept de pertinence. Il va de soi que mon interprétation du terme « durabilité » aurait été générique, élémentaire et qualitative – et non pas basée sur l’optimisation high-tech, sur une course aux chiffres et sur la compensation carbone –, mais c’est l’imprécision du concept qui m’a poussé à rechercher quelque chose de plus basique, de plus méthodique.

Centre communautaire local Gahinga Batwa – Localworks

Le point de départ est une approche de la conception basée sur une ‘observation créative’ : le contexte fait tout, et la conception est quelque chose que l’on découvre, et non que l’on invente. La simple question de savoir « Qu’est-ce qui est pertinent ? » peut se poser pour la grande majorité des décisions de conception et a une certaine sobriété qui manque parfois à la bulle de la durabilité. Les réponses seront presque toujours progressives, relatives, pratiques et rarement uniformes et incontestables. La pertinence, c’est trouver un équilibre plutôt que des réponses radicales.

L’une des nombreuses questions auxquelles un architecte doit répondre dès les prémices d’un projet est celle du choix des matériaux. Un architecte soucieux de la pertinence appréhenderait cette question en explorant les environs du site de construction, en recherchant des matériaux disponibles à l’échelle locale et en s’intéressant à ce que les locaux utilisent pour leurs constructions et pourquoi – c’est aussi simple que ça. Tout comme le fait d’accepter la nécessité de recourir à des matériaux à faible énergie intrinsèque. Un produit dont la fabrication consomme un volume important d’énergie ou qui provient de loin sera rarement un choix plus pertinent qu’une pierre provenant des alentours ou de la terre creusée sur le lieu de construction.

Aucune technique de refroidissement ne sera plus judicieuse qu’orienter un bâtiment correctement en fonction du soleil et du vent. L’être humain a créé un nombre infini de technologies intelligentes – climatisation, isolation, vitrage solaire –, mais l’approche la plus conséquente sera de bien orienter un bâtiment et de concevoir des façades adaptées au soleil, au vent et à la pluie. Dans ce contexte, il serait pertinent de déterminer les bonnes priorités au tout début du processus de conception plutôt que d’avoir à solutionner a posteriori un problème qui pouvait être évité. Il est certain que dans un contexte africain, où les budgets opérationnels ont tendance à être faibles, voire inexistants, les solutions dites ‘passives’ et ‘low-tech’ seront presque toujours préférables à celles qui reposent sur des technologies complexes ou des solutions importées.

Construction d’un prototype de bâtiment scolaire en préfabriqués écologiques – Localworks

Mais l’envie de trouver des réponses pertinentes ne se limite pas aux technologies de construction et à l’ingénierie. Chaque lieu, chaque usager, chaque fonction et chaque contexte social ou culturel peut être appréhendé avec un état d’esprit similaire. Une philosophie de la conception fondée sur le contextualisme permet d’ouvrir l’esprit du concepteur à une localité ou à une problématique, et encourage les organismes spatiaux à se développer plutôt que de tailler les objets, et les espaces à émerger plutôt que d’installer des sculptures.

Il semble presque évident que cette approche ne se limite pas à ‘l’architecture durable en Afrique’ et qu’elle s’applique tout autant aux projets de conception destinés à des réfugiés en Ouganda qu’à ceux conçus pour des agents de change à Francfort. Une philosophie contextuelle de la conception fonctionnera partout dans le monde – tant dans les régions pauvres ou riches, chaudes ou froides, rurales ou urbaines –, mais la réussite des projets requiert toutefois une approche adaptée à l’économie locale. Aussi, il est important de trouver un type d’approvisionnement pertinent lui aussi, qui soit en harmonie avec la conception, la localité et l’économie.

En Afrique orientale, cette problématique est particulièrement liée au manque de constructeurs et de prestataires qualifiés. Dans le secteur formel, le système d’approvisionnement le plus courant en Ouganda est un contrat classique d’entrepreneur général avec un architecte et des consultants qui jouent le rôle de représentants du client lors de la phase de conception et d’exécution du projet. Ce système instaure délibérément une séparation entre les concepteurs et les constructeurs en partant de l’idée que chaque partie contrôle et régule l’autre, protégeant ainsi les intérêts d’un client non technique. Il s’agit d’un système fondamentalement basé sur l’adversité avec pour objet commun le profit financier. Vu sous cet angle, c’est un point de départ plutôt médiocre pour tout processus créatif, et ayant consacré la majeure partie de ma carrière à réaliser des chantiers avec ce système d’approvisionnement, j’ai le sentiment que les bons projets émergent malgré le système plutôt que grâce à lui.

Au fil des années, notre équipe a déployé de nombreuses stratégies pour améliorer notre façon de travailler, avec différents degrés de réussite et de frustration. Si notre envie de concevoir et d’expérimenter ne s’est jamais affaiblie, nous avons en revanche fini par faire le constat que nous ne faisions que ‘presser comme un citron’ et que si les choses n’étaient pas prises en main, on risquait d’y perdre notre joie de construire. En 2019, cela a donné lieu à la création de Localworks, un organisme collaboratif de conception et de construction pluridisciplinaires. Dans le cadre de ce qu’on a appelé l’approche de la « maîtrise d’œuvre », les concepteurs et les constructeurs font désormais partie de la même équipe et réalisent des projets clé en main de A à Z.

Localworks est né du constat que le ‘Comment ?’ est tout aussi important que le ‘Quoi ?’ ; que le processus de conception et de construction d’un bâtiment est une œuvre d’art en lui-même ; et que l’art tend non pas à naître d’un rapport d’adversité axé sur le profit, mais d’une authentique envie de créer, de collaborer et de produire quelque chose qui a une véritable valeur. Nous étions convaincus que si nous nous préoccupions davantage du ‘Comment ?’, si nous mettions toute notre énergie et notre imagination au service de l’élaboration d’un processus créatif productif, il y aurait intrinsèquement de fortes chances que le résultat – le ‘Quoi ?’ – soit, lui aussi, de très bonne qualité. Nous avons positionné les concepteurs sur la même ligne que les constructeurs tout en invitant les constructeurs à se joindre à l’équipe de conception. Aujourd’hui, les maquettes 1:1 sont souvent élaborées ensemble – dans le même atelier où elles seront transformées en dessins techniques – et les architectes et les ingénieurs exécutent leurs propres plans de fabrication en aidant les ouvriers sur le chantier.

Maquettes de bureaux – Localworks

Bien que nous n’en soyons encore qu’aux débuts, nous avons l’impression d’avoir trouvé un modèle pertinent pour donner vie à notre type d’architecture durable dans cette région. Mais encore une fois, ce que nous faisons repose surtout sur la ressource la plus importante d’un architecte : la joie de construire.

À propos de l’auteur :

Felix Holland est cofondateur et architecte principal de Localworks, organisme collaboratif de conception et de construction pluridisciplinaires établi à Kampala, en Ouganda. Felix a grandi en Allemagne, où il était élève dans une école Rudolf-Steiner avant d’étudier l’architecture et le design urbain à l’école d’arts Hochschule für bildende Künste (HfbK) de Hambourg. En 2004, il déménage en Ouganda, où il intègre un cabinet britannique d’architectes et ingénieurs. Huit ans plus tard, Felix ouvre son propre cabinet, Studio FH Architects, qui deviendra en 2019 un membre fondateur de l’organisme collaboratif Localworks spécialisé dans la conception et la réalisation d’une architecture écologique (www.localworks.ug). Felix est marié et a trois filles.